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Un/Gleichheiten Analysen

Nathalie Bertaud Juli 2025

Les recherches de terrain (ci-après «terrains») en groupe d’étudiant·es, essentielles à la réussite d’un cursus dans certaines disciplines, ne sont pas libres d’inégalités et de discriminations: elles sont impactées par des facteurs structurels et des dynamiques de groupe parfois peu visibles en classe. Basé sur la littérature et des témoignages d’étudiante·s universitaires, cet article considère les problématiques rencontrées par le corps étudiant lors de terrains en géosciences et suggère divers outils déjà existants pour y remédier.

Groupe de personnes effectuant une randonnée en montagne. © molchanovdmitry

Groupe de personnes effectuant une randonnée en montagne. © molchanovdmitry

Dimension systémique

Il est important de mentionner que les problématiques d’inégalités et de discriminations en lien avec les terrains dans les géosciences sont systémiques. Elles découlent de l’histoire de ces disciplines et des structures sociétales dans lesquelles elles s’inscrivent. Autrement dit, mettre en place des outils de sensibilisation EDI (Égalité, diversité et inclusivité) ne revient pas nécessairement à mettre en cause les pratiques d’enseignement de membres individuels du corps enseignant, mais à rééquilibrer les opportunités et les chances de réussite entre des étudiant·es et chercheur·euses dans toute leur diversité. De nombreuses études produites dans différents pays montrent que les terrains (dans d’autres disciplines également, telle l’archéologie) sont des lieux où se manifestent certaines discriminations liées au genre, du fait de la proximité physique entre les membres d’une équipe de recherche lors d’un terrain et de l’éloignement du contexte habituel d’études. Les terrains constituent en quelque sorte une « zone grise » dans laquelle les rôles et postures de chacune et chacun ne sont plus aussi clairs que dans la salle de classe.

Problématiques relevées

La littérature ainsi que des témoignages d’étudiant·es soulèvent plusieurs catégories de discriminations et inégalités pouvant être vécues lors de terrains. La première catégorie est celle du sexisme bienveillant dont un exemple est celui d’une situation dans laquelle les femmes sont assignées à des tâches incluant moins d’outils techniques ou de complexité, notamment dans la récolte d’échantillons, car elles sont automatiquement perçues comme moins capables. Ceci limite les possibilités de développement de compétences pour les personnes perçues comme femmes et peut se répercuter plus tard dans l’évolution de carrière. Cette attitude crée également une injonction à une forme de masculinité basée sur la performance souvent physique qui elle-même doit être questionnée car elle limite la diversité des tâches que les personnes perçues comme hommes peuvent effectuer. La deuxième concerne la culture relativement androcentrée des géosciences, visible notamment dans la communication visuelle de ces disciplines, qui est un frein à la diversité dans ce domaine. Elle pousse certain·es participant·es à se vanter de leurs compétences athlétiques lors de terrains, créant ainsi un esprit de compétition excluant et intimidant d’autres participant·es ne souhaitant pas entrer dans une forme de compétition. Elle pousse les organisateur·trices à choisir des lieux moins accessibles pour récolter des échantillons ou faire des observations, alors que des options plus accessibles seraient envisageables d’un point de vue d’acquisition de connaissances. Les géosciences ont aussi une représentation très moindre de personnes vivant avec un handicap, racisées, et / ou appartenant à la communauté LGBTIQ.

La troisième catégorie est celle des obstacles financiers qui perpétuent l’homogénéité de la discipline. En effet, les personnes qui tendent à réussir dans ce domaine de recherche sont celles déjà habituées à voyager et à faire des excursions. De telles expériences dépendent souvent grandement du statut socio-économique : ces personnes possèdent déjà l’équipement nécessaire et peuvent payer leur contribution financière aux terrains de leur cursus de manière immédiate, sans avoir besoin d’économiser pendant des mois. En parallèle à cela, certain·es étudiant·es doivent emprunter ou louer des équipements mal-adaptés à leur taille car ces équipements sont souvent proposés en taille dite « standard », c’est-à-dire homme de taille moyenne. Un équipement mal adapté non seulement entrave les participant·es dans leur apprentissage, mais pose aussi des risques en termes de sécurité. La quatrième catégorie de problématiques est liée à l’hétérocissexisme et l’hétérocisnormativité. Karen Nairn démontre dans une étude la prégnance de l’hétérocisnormativité dans les logements prévus par les organisateur·trices des terrains étudiés. Elle montre que la séparation des chambres selon le sexe (assigné à la naissance) suppose l’hétérosexualité des participant·es et sert d’outil de contrôle du désir et / ou de l’embarras hétérosexuel, et ne tient pas compte des raisons plurielles qui peuvent amener une personne ou un groupe à préférer un certain type de logement. De plus, l’hétéronormativité rend également la possibilité pour des personnes LGBTIQ d’être elles-mêmes lors des terrains très difficile, avec les conséquences négatives sur la santé que cette nécessité de se cacher engendre.

5. What are your costs?

Socio-economic backgrounds can be a hidden barrier to fieldwork.
Appropriate clothing and footwear are essential for health and safety, but come at a cost to the student. There can be hidden costs such as digital technology requirements, money for snacks and leisure activities.

Consider:

  • Departmental kit loan schemes.
  • Donation stations for final year students to donate unwanted kit.
  • Practical advice on what you really need in the field.

Be honest and clear about the costs involved as soon as possible.
Some optional trips may incur additional costs and staff increasingly need to find cost-effective fieldtrip locations and facilities. Ensure you consider the learning outcomes of your modules/course, alongside student needs e.g. accommodation.

Université de Bangor, exemple de checklist pour les organisateur·trices de terrains en géosciences (cf. illustration 1)

Dans la cinquième catégorie, une planification tardive de la part des organisateur·trices de terrains conduit souvent à un manque d’information du côté des participant·es, par exemple : quels sont les arrangements pour dormir ? Quelles sont les possibilités en termes d’hygiène si une personne a ses règles ? Y a-t-il la possibilité de conserver des médicaments dans un frigo ? Le manque d’informations partagées en amont des terrains rend également difficile la location de l’équipement nécessaire pour les personnes qui ne le possèdent pas déjà. Finalement, plusieurs études soulignent le problème des violences sexuelles lors des terrains. Il a été démontré qu’il est souvent encore plus difficile de dénoncer des agressions sexuelles lors de terrains, du fait de l’isolement des lieux de recherche et du fait que la victime se retrouve « coincée » avec son agresseur sur le site de la recherche.

Outils EDI

Les thématiques EDI ayant acquis une visibilité grandissante, plusieurs études se sont penchées sur l’importance d’implémenter des directives EDI au-delà des campus universitaires et donc lors des terrains. Un outil particulièrement mis en avant est le code de conduite que l’on peut considérer comme un outil en lien avec l’encadrement des terrains. Il permet de fixer des règles de vivre-ensemble. Par exemple, un tournus de tâches à la fois sur le terrain et dans les logements prévus est une façon simple de s’assurer que les tâches dévaluées ne sont pas systématiquement effectuées par les mêmes personnes, et que chaque personne peut apprendre de nouvelles techniques. Les thématiques qui devraient être incluses dans un code de conduite sont les discriminations liées à des caractéristiques protégées (sexe, orientation sexuelle, origine ethnique, appartenance religieuse, etc), les agressions sexuelles et le principe du consentement, ainsi que le respect de l’environnement. Les comportements qui sont attendus des participant·es et ceux qui sont proscrits devraient être clairement décrits, et un mécanisme de signalement des abus doit impérativement être inclus.

1. Comportement attendu

Les interactions au sein du groupe :

  • Accepter un large éventail de points de vue et permettre à tous les membres du groupe d'exprimer ouvertement leur opinion sans jugement, tant que les points de vue ne sont pas discriminatoires. Considérer les idées qui sont développées, et non les individus.
  • Respecter et prendre en compte les autres sans donner la priorité à certaines connaissances, comme le savoir scientifique occidental, par rapport à d'autres, comme les connaissances locales et autochtones.
  • Inclure tous les membres du groupe dans la prise de décision et ne pas exclure de personnes lors des réunions. […]
  • Reconnaître et éviter les actions agressives ou machistes. Une culture où la brutalité est considérée comme un rite de passage est inacceptable. […]

2. Comportement inacceptable

Comportements inacceptables qui entraîneront votre exclusion du travail de terrain :

  • Intimidation physique ou verbale, brimades, abus, harcèlement ou agression.
  • Coercition / manipulation, c'est-à-dire le fait de chercher à influencer une autre personne de manière préjudiciable.
  • Menaces (y compris, mais sans s'y limiter, les menaces de violence, de discrédit professionnel, de diminution injustifiée des responsabilités et d'embarras public).
  • Harcèlement fondé sur le genre, la couleur de peau, l'âge, les capacités physiques et intellectuelles ou harcèlement sexuel.
  • Comportement sexuel inapproprié, y compris l'utilisation inappropriée de la nudité et / ou d'images sexuelles dans un espace public, ou le recours soutenu à des insinuations sexuelles. […]

Université de Fribourg, Département des Géosciences, Code déontologique pendant les activités de terrain

Un autre outil facile à mettre en place est le formulaire pour des terrains inclusifs. Adressé aux étudiant·es en amont d’un terrain, il permet aux participant·es de signaler s’ils ou elles ont des besoins spécifiques liés à leur état de santé, à des pratiques religieuses, de possibles allergies ou régimes alimentaires spécifiques. Il semble nécessaire qu’un tel formulaire mentionne d’autres thématiques (comme des besoins concernant le logement ou le prénom d’usage par exemple) et inclue un paragraphe sur le harcèlement sexuel, indiquant des ressources de soutien. Un troisième outil servant de pendant au formulaire étudiant est la checklist pour les organisateur·trices de terrains. Elle doit inclure diverses thématiques, comme les logements à disposition (mixtes ou individuels), l’accessibilité physique, le niveau de difficulté des excursions, la diversité des régimes alimentaires disponibles, les types de commodités (douches, toilettes) et les informations qui doivent être partagées au corps étudiant en avance. Elle permet de facilement repérer les aspects d’un terrain qui pourraient causer des inégalités de traitement. Elle devrait également faire un rappel du cadre légal concernant le harcèlement sexuel et quelles ressources mobiliser dans une telle situation.

6. Accommodation and catering.

Cost-effective fieldtrips often require using basic, hostel type accommodation with shared dormitories. This can present issues for students with:

  • Medical health needs (visible and non-visible).
  • Neuro diverse considerations.
  • Gender-room anxieties.

Resolving these issues can be tricky due to limitations in the number of single rooms available.

Discover and collate the needs of your students, talk to individuals, and facilitate compromise in advance.

Food can be a source of anxiety for students and with the physical demands of fieldwork it is essential that students are eating well.

Collate information on:

  • Student dietary requirements, pass on allergy information to providers.
  • Religious and cultural sensitives around food and alcohol; be aware of times of fasting.

Université de Bangor, exemple de checklist pour les organisateur·trices de terrains en géosciences (cf. illustration 2)

Les outils ci-dessus peuvent être coconstruits avec les participant·es en amont d’un terrain. Une telle approche permet d’ouvrir la discussion sur les thèmes abordés dans les outils et sert également d’opportunité pour rappeler le cadre légal en lien avec les thématiques de discriminations et de harcèlement sexuel, et d’expliquer le mécanisme de signalement mis en place. Ces outils peuvent permettre d’éviter certaines discriminations et inégalités, et permettre aux participant·es d’un terrain de fonctionner avec des règles de vivre-ensemble claires. Cependant, il est important de noter leurs limitations, du fait de la variété des inégalités pouvant se manifester. Certaines inégalités, comme une situation financière précaire, peuvent être remédiées par la création d’aides financières, mais d’autres inégalités, comme celles découlant du sexisme ou de l’hétérocisnormativité, nécessitent plus de créativité pour être éliminées.

Il n’a pas été possible d’aborder dans ce blog toutes les discriminations ou inégalités pouvant se manifester lors de terrains. D’autres outils spécifiques à d’autres inégalités, par exemple celles pouvant se manifester pour des personnes en situation de handicap, neuroatypiques ou appartenant à une communauté racisée doivent également être mis en place.

Bibliographie

Publikationsdatum:

03. Juli 2025

Autor_in:

Nathalie Bertaud