Entre éducation engagée et émancipation empêchée : involution, dévolution, révolution

Raisons éducatives, 2024/1 N° 28

Les recherches qui ont mis au jour les questions d’engagement ou de révolution institutionnelle ont pour l’heure essentiellement porté sur la formation des enseignant·es, le système éducatif et l’agir des élèves. L’injonction à l’engagement, considéré comme une vertu cardinale à promouvoir sur le plan institutionnel, peut pourtant devenir paradoxale lorsqu’elle se retrouve confrontée par exemple à l’engagement des élèves à l’occasion des grèves pour le climat. Ce numéro de Raisons éducatives étudie comment les questions d’engagement ou de révolution institutionnelle se sont transformées récemment dans la formation ou dans l’agir des personnels d’éducation et de formation : les nouvelles problématiques soulevées par l’institutionnalisation relative de certaines dimensions (comme les questions de genre ou la laïcité), mais aussi la résistance à aborder des questions qui restent encore sensibles voire taboues (l’éducation à la sexualité, les questions intersectionnelles en particulier celles qui touchent à la décolonisation). La question de l’agir enseignant est ainsi au cœur de ce numéro, la notion de pouvoir d’agir se déployant largement à travers les articles.

L’éducation comme champ de bataille

Depuis plusieurs années, la formation des professionnel·les de l’éducation et de la formation intègre les questions dites vives ou thèmes sensibles. Ainsi, former la communauté éducative (apprenant·es inclus·es) aux enjeux d’égalité, d’équité, de justice sociale ou d’éthique est devenue une obligation institutionnelle, en particulier sous l’impulsion du Conseil de l’Europe, une organisation dont la Suisse est membre (Couchot-Schiex & Collet, 2022). Ces préconisations européennes entrent parfois en conflit avec les politiques éducatives nationales, laissant les professionnel·les devant des injonctions paradoxales. Appliquer les textes… mais lesquels (Collet, 2021) ? Respecter un devoir de réserve… mais avec des limites floues (y compris dans les textes règlementaires). Défendre une éthique ou une pratique professionnelle engagée… face à une institution qui recule dès qu’elle se heurte à des discours publics conservateurs, voire néoréactionnaires (Gallot & Pasquier, 2018). Est-ce qu’une neutralité axiologique est possible et souhaitable alors que le cadre institutionnel appelle à transmettre des valeurs dans un contexte éducatif démocratique qui promeut l’autonomie et la responsabilisation des apprenant·es ? Quelles peuvent être les conséquences d’un processus révolutionnaire (entendu aussi bien sur le plan politique, économique et social, qu’éducatif) au sein d’une institution soumise à des agendas politiques ?