Douleur et genre : la fin d’un oubli ?

Depuis le travail d’Isabelle Baszanger sur la constitution de la douleur comme spécialité médicale (Baszanger, 1995), peu d’enquêtes sociologiques en France ont pris la douleur comme objet de recherche central. Marquée par la distinction entre corps et esprit, nature et culture (Bendelow et Williams, 1995), la sociologie tend à considérer le biologique, et donc les sensations douloureuses, comme un donné et non comme un produit du social (Bourdieu, 1981 ; Détrez, 2002 ; Fassin et Memmi, 2004). La douleur a ainsi été abordée en pointillé, entre autres, dans les études sur les conditions de travail (Crasset, 2013 ; Avril, 2014 ; Darbus et Legrand, 2021), sur le sport (Wacquant, 2014 ; Oualhaci, 2017) ou encore sur la sexualité (Nicaise, 2023 ; Millepied, 2024).

Au sein de la recherche francophone, l'article « Les usages sociaux du corps » de Luc Boltanski, paru en 1971, a posé les bases d'une analyse sociologique des rapports différenciés à la douleur selon les appartenances de classe. D’après Luc Boltanski, la « dureté au mal », autrement dit la faculté à résister et endurer la douleur, serait le propre des cultures somatiques populaires, en lien avec l’usage professionnel du corps dans ces milieux sociaux (Boltanski, 1971). Cependant, son article interroge peu les effets des autres rapports de domination, notamment du genre, sur les expériences de la douleur et a donné lieu à peu de recherches empiriques. L’objectif de cette journée d’étude est donc d’analyser la douleur comme une sensation forgée par le social et faisant l’objet de qualifications, d’appropriations et de pratiques inscrites dans des rapports sociaux de genre. Loin de proposer une définition a priori des douleurs, cette journée d’étude cherche à interroger la frontière mouvante entre douleurs ordinaires et/ou normales et douleurs chroniques et/ou pathologiques (Canguilhem, 1966). Il s’agira de prendre pour objet les douleurs physiques en mettant l’accent sur la corporéité des sensations douloureuses, tout en questionnant les processus de psychologisation de certaines douleurs physiques.

En effet, les sensations douloureuses sont prises dans des représentations genrées. Les quelques travaux existants montrent que celles-ci sont renvoyées du côté du féminin car associées à l’accouchement ou encore aux règles (Bendelow, 1993 ; Arnal, 2016). Une prénotion répandue présente ainsi les femmes comme naturellement aptes à supporter de fortes douleurs car leurs corps seraient biologiquement formés dans cette perspective. Ces douleurs font ainsi l’objet d’une naturalisation allant de pair avec la construction historique des corps féminins comme « essentiellement différents et pathologiques » (Salle, 2019 : 182), comparativement aux corps masculins (Charlap, 2015 ; Gardey et Löwy, 2000). Au contraire, les hommes présenteraient un rapport viriliste aux sensations douloureuses : les normes de la masculinité hégémonique s’assortiraient d’une interdiction de manifester de la douleur, physique comme psychologique (Dulong, Guionnet et Neveu, 2019). La douleur est-elle dès lors une sensation « féminine » ?

Date di pubblicazione:

08 ottobre 2025

Scadenza:

17 marzo 2026