Le corps inscrit: le monogramme du Christ chez Henri Suso

Le corps inscrit: le monogramme du Christ chez Henri Suso

In : Irene Becci et Francesca Prescendi Morresi (dir.) Imaginaires queers. Transgressions religieuses et culturelles à travers l’espace et le temps. Lausanne, BSN Press, 2020, pp. 77-92

Premières lignes du chapitre :

Sur l’un des feuillets du plus ancien manuscrit illustré d’un recueil de textes du dominicain Henri Suso, le monogramme du Christ s’impose puissamment sur un fond réticulé rouge en interrompant la ligne continue du texte (fig. 1). Inscrit en lettres capitales avec le H central surmonté d’une croix, il manifeste la présence du Christ sous la forme de son nom d’où des gouttes de sang s’écoulent jusque dans la marge. Ce monogramme illustre un épisode précis de la Vie de Suso, au moment où celui-ci, encore jeune homme « grave sur son cœur l’aimable nom de Jésus » : « Il commença à enfoncer la pointe du stylet dans sa chair au-dessus et dans la direction du cœur, et il remua la pointe de-ci, de-là, de haut en bas, jusqu’à ce que le nom IHS apparût sur son cœur. En raison de ces coups profonds, le sang jaillit abondamment de sa chair et coula le long de son corps sur son sein. Ce lui était une joie de le regarder en raison de son amour fervent, de sorte qu’il prêtait peu d’attention à la douleur. » Caractéristique du mysticisme de la fin du Moyen Âge où coexistent piété sentimentale, amoureuse même, et violence dirigée contre son propre corps, ce geste extrême et sanglant constitue un cas exceptionnel, mais pas complètement isolé. Le corps de Suso, dont on verra par la suite qu’il oscille entre les pôles masculin et féminin, devient ici le support d’un texte qui fait image, tout aussi bien dans le récit que dans le manuscrit enluminé. Dans le cadre de cet article, nous tenterons dans une première partie de replacer ce geste dans l’histoire de la dévotion au nom de Jésus, et dans une seconde partie à interroger les diverses représentations du corps de Suso apparaissant tout au long du manuscrit de Strasbourg lequel propose une série inédite d’enluminures le mettant en scène, en nous concentrant plus précisément sur la poitrine, lieu d’inscription du tatouage et siège affiché d’un amour hors du commun…