Gendernativismus im (il)liberalen Staat: Das Burkaverbot in der Schweiz

Dibattito Analisi

MA Stefan Manser-Egli febbraio 2021

Le 7 mars prochain, le peuple suisse se prononcera sur une «interdiction de la burqa». L'initiative populaire, ainsi que son contre-projet, révèlent un phénomène que nous pouvons définir conceptuellement comme un nativisme de genre. Le débat s’appuie sur un narratif nativiste selon lequel l’égalité des sexes est établie depuis longtemps en Suisse et que seul·e·s les Suisse·sse·s pourraient porter le voile volontairement. La conséquence est que les femmes musulmanes (migrantes) ne sont non seulement pas écoutées, mais aussi fondamentalement privées du statut de sujets politiques de l’État libéral et des droits individuels de liberté qui s’y rapportent.

[Translate to Italian:] Gemäss dem Religionsforscher Andreas Tunger-Zanetti leben in der Schweiz maximal 37 Frauen, die ihr Gesicht voll verschleiern (NZZ vom 8.1.21).

« Dans les États éclairés tels que la Suisse, les femmes et les hommes libres se parlent à visage découvert. La dissimulation du visage dans l’espace public est contraire à l’esprit libéral du vivre-ensemble […] »
(Comité d’Egerkingen)

Le voile du visage, souvent appelé burqa ou nikab, est au centre de l’attention du public, des législations et de la recherche en Europe et ailleurs depuis des années. Le 7 mars, le peuple suisse se prononcera sur une « interdiction de la burqa ». De nombreux aspects problématiques liés à ces interdictions ont déjà été discuté en profondeur par plusieurs recherches (par exemple Tunger-Zanetti 2021, Eskandari et Banfi 2017, Vorpe 2016). Cependant, un élément clé de ce débat a été négligé jusqu’à présent. Nous suggérons, à travers une analyse de l’argument du Comité d’Egerkingen et du message du Conseil fédéral (FF 2019 2895), que le discours autour de l’interdiction de la burqa peut être compris comme relevant du nativisme de genre. Le nativisme de genre fait ici référence à une forme particulière de xénophobie sexiste et racialisée selon laquelle les Autres sont présenté·e·s comme étant culturellement incompatibles avec des citoyen·ne·s libres, égaux·ales, authentiques et « aux racines » bien ancrées (Duyvendak 2012). Le nativisme de genre défend ici l’idée que « les États devraient être habités exclusivement par le groupe autochtone (la nation) et que les éléments non autochtones (personnes et idées) constituent une menace fondamentale pour l’homogénéité de l’État-nation » (Mudde 2007, 19). Il convient de noter ici que notre argument ne nie en aucune façon les formes possibles d’oppression liées au voile, pas plus qu’il ne nie l’existence de la violence sexiste en général. Il s’agit plutôt ici de discuter des aspects problématiques liés à la représentation politique et discursive de ces questions.

Cohésion nationale et institutionnalisation du discours de libération

Selon le Comité d’Egerkingen, la « vague de migration musulmane […] importe en Europe une image archaïque et rétrograde des femmes ». Le voile du visage est présenté comme un problème de migration et est donc « diamétralement opposé à l’égalité des hommes et des femmes que nous vivons en Suisse comme une évidence ». Le port d’un voile est interprété comme une forme d’oppression évocatrice de l’inégalité des femmes musulmanes par rapport aux hommes musulmans et aux femmes suisses. Dans ce contexte, les femmes musulmanes sont présentées comme des victimes à libérer de leur culture sexiste et illibérale et/ou de l’Islam (Spivak 1993). A l’opposé, la civilisation et la culture occidentale, européenne, libérale et supérieure est mise en avant. Cette frontière se fonde sur une notion romancée de l’égalité des sexes, censée être établie de longue date en Suisse, créant ainsi l’illusion que seules les femmes suisses de souche pourraient être libres et égales. Ce narratif s’appuie sur une image de la nation suisse historiquement exempte de migration et composée de citoyen·ne·s libres et égaux·ales — selon la conception nativiste du/de la citoyen·ne authentique et « aux racines » bien ancrées. L’accent mis sur les valeurs libérales et l’égalité entre les sexes, censées être établies de longue date, établit une frontière claire entre l’« autre », musulman, migrant et le « nous » suisse, indigène et solidaire.

Il est intéressant de noter que ces frontières nativistes et sexistes ne sont plus limitées aux partis de droite nationalistes. Elles se sont en fait étendues à tout le spectre politique et se sont introduites dans le discours public, y compris dans le message du Conseil fédéral, lequel a adopté un contre-projet à l’initiative populaire indiquant que celui-ci « apporte une réponse plus ciblée aux problèmes que peut poser le port de vêtements dissimulant le visage » (FF 2019 2923). De plus, le Conseil fédéral indique partager l’avis du comité d’Egerkingen selon lequel le voile du visage est a priori un problème. C’est pourquoi l’avant-projet du contre-projet contenait la disposition suivante : « Quiconque, en usant de violence envers une personne ou en la menaçant d’un dommage sérieux ou en l’entravant de quelque autre manière dans sa liberté d’action, l’oblige à se dissimuler le visage, est puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire. » Bien entendu, une telle contrainte était déjà interdite auparavant dans le cadre du délit de contrainte (art. 181 du Code pénal). Bien que la disposition ait été abandonnée par la suite et que le Conseil fédéral rejette clairement l’initiative populaire, le contre-projet reproduit ainsi l’image de la femme musulmane opprimée (et de l’oppresseur masculin) comme hypothèse par défaut, renforçant ainsi le discours nativiste sur le genre.

Négation du statut de sujet libéral

Selon le comité d’Egerkingen, les femmes voilées ne peuvent pas être des citoyennes libres et égales (et donc faire partie de la nation suisse) puisque des citoyennes libres et égales se montrent en public (si l’argument était déjà discutable avant la pandémie de COVID, il semble d’autant plus déplacé aujourd’hui). Ainsi, lorsqu’il s’agit du voile du visage, le comité ne parle que de « prétendument volontaire » ou met « volontaire » entre guillemets. De cette manière, le comité tente d’anticiper l’accusation selon laquelle l’interdiction de la burqa est une atteinte aux libertés individuelles. Selon cette logique, aucune action ne peut être considérée comme l’expression d’une liberté si elle n’est pas volontaire.

Il est vrai que le Conseil fédéral n’a pas adopté ce raisonnement. Néanmoins, il ne réfute pas ce narratif nativiste de genre dans son message mais au contraire le renforce même. S’il reconnaît qu’une interdiction n’est pas compatible avec les droits fondamentaux et que le fait de se couvrir le visage peut se faire par conviction, il le fait tout en suivant une ligne de démarcation nativiste. Notamment, le Conseil fédéral indique qu’il « faut par ailleurs garder à l’esprit que le port du voile intégral peut résulter d’un libre choix, comme c’est le cas par exemple des ressortissantes suisses qui se convertissent » (FF 2019 2897). Dans son même message, on peut aussi lire plus loin : « Il faut toutefois garder à l’esprit que le port du voile intégral peut aussi résulter d’un libre choix de la personne, comme c’est le cas par exemple des ressortissantes suisses qui se convertissent. » (FF 2019 2918). A noter que ces deux passages sont les seuls qui font référence aux questions de volonté et d’autonomie des femmes voilées, et tous deux font explicitement référence aux Suissesses converties. Ainsi, le message renforce la frontière nativiste entre une Suissesse libre et convertie, qui est libre de choisir le voile, et la femme musulmane migrante, qui n’est pas capable d’avoir un tel consentement. Cette frontière nativiste basée sur l’image d’une Suissesse libre convertie a été renforcée par la figure de Nora Illi, une convertie suisse controversée, décédée en mars 2020. Elle est apparue régulièrement à la télévision, insistant sur le fait que le voile du visage représentait pour elle un « sentiment de liberté ». Dans son cas, le voile n’a jamais été interprété comme un symbole d’oppression, et son affirmation selon laquelle le voile signifiait un sentiment de liberté n’a jamais été remise en question (mais tout au plus condamnée comme un acte de provocation).

Dans ce discours nativiste de genre, les libertés fondamentales des femmes musulmanes migrantes — comme la liberté de se vêtir — sont non seulement limitées (Strasser 2014) mais ne leur appartiennent même plus du tout. Si on accepte l’oppression et l’absence d’autonomie comme hypothèses par défaut, les femmes musulmanes seront privées de leur statut de sujet qui est au cœur de l’État libéral. Cela conduit à la négation discursive de la femme musulmane voilée en tant que sujet de la démocratie libérale. Elle est privée des droits et libertés individuels fondamentaux car le fait de porter le voile n’est pas considéré comme l’expression d’un droit fondamental, de même que son interdiction n’est pas considérée comme une restriction de cette liberté. Cela revient à nier l’autonomie individuelle, condition nécessaire pour jouir du statut de sujet politique (Galeotti 2015), des femmes musulmanes et viole un principe fondamental de la démocratie libérale.

Vers la reconnaissance du statut de sujet politique

Une approche alternative nécessite d’abord de passer outre les lentilles racialisées, cuturalisées et migrantisées à travers lesquelles des phénomènes tels que le port du voile sont trop souvent observés (Dahinden 2016). Une telle approche exige une position réflexive et inclusive quant aux notions de société libérale (européenne) (Shachar 2007 ; Gianni 2019). Notamment, les questions suivantes se posent : À qui les États européens soi-disant libéraux comme la Suisse accordent-ils un statut de sujet libéral à part entière qui comprend l’autonomie de prendre des décisions qui ne semblent pas « normales » ou qui « déclenchent un malaise » ? Qui possède le monopole d’interprétation discursive par rapport à certains phénomènes tels que le voile, et comment un féminisme intersectionnel et antiraciste qui prend au sérieux la question de l’égalité de statut des sujets politiques peut-il se faire entendre ? Concrètement, le passage d’une perspective culturalisée et migrantisée à une perspective intersectionnelle et libérale (révisée) signifie la reconnaissance des femmes migrantes et musulmanes en tant que sujets politiques et citoyen·ne·s égaux·ales.

Cet article de blog se base sur un article à paraître : Dahinden, Janine, and Manser-Egli, Stefan. forthcoming. Gendernativism and the (il)liberal state: The cases of forced marriage and the burqa ban in Switzerland.

Cet article a été publié pour la première fois dans une version réduite et en anglais sur le blog du nccr — on the move le 2 février 2021.

Bibliographie

Conseil fédéral. 2019. Message relatif à l'initiative populaire « Oui à l'interdiction de se dissimuler le visage » et au contre-projet indirect (loi fédérale sur la dissimulation du visage).

Dahinden, Janine. 2016. A plea for the 'de-migranticization' of research on migration and integration. Ethnic and Racial Studies 39 (13) : 2207-2225.

Duyvendak, Jan Willem. 2012. Holland as a Home. Racism and/or Nativism ? Krisis (2).

Eskandari, Vista, and Elisa Banfi. 2017. Institutionalising Islamophobia in Switzerland : The Burqa and Minaret Bans. Islamophobia Studies Journal 4 (1) : 53-71.

Galeotti, Anna Elisabetta. 2015. Autonomy and cultural practices : The risk of double standards. European Journal of Political Theory 14 (3): 277-296.

Gianni, Mateo. 2019. Injonction à l'intégration et citoyenneté pour les musulmans en Suisse. Une relation paradoxale. In L'islam (in)visible en ville, 83-103. Genève : Labor et Fides.

Mudde, Cas. 2007. Populist Radical Right Parties in Europe. Cambridge : Cambridge University Press.

Shachar, Ayelet. 2007. Feminism and Multiculturalism : Mapping the Terrain. In Multiculturalism and Political Theory, edited by Anthony Simon Laden and David Owen, 115-147. Cambridge : Cambridge University Press.

Spivak, Gayatri. 1993. Can the Subaltern Speak ? In Colonial Discourse and Post-Colonial Theory : A Reader, edited by Laura Chrisman and Patrick Williams, 66-111. New York and Sydney : Harvester Wheatsheaf.

Strasser, Sabine. 2014. Post-Multikulturalismus und "repressive Autonomie": sozialanthropologische Perspektiven zur Integrationsdebatte. In Kultur, Gesellschaft, Migration. Studien zur Migrations- und Integrationspolitik, edited by Boris Nieswand and Heike Drotbohm, 41-67. Wiesbaden : Springer.

Tunger-Zanetti, Andreas. 2021. Verhüllung. Die Burka-Debatte in der Schweiz. Hier und Jetzt. Verlag für Kultur und Geschichte.

Date di pubblicazione:

03 febbraio 2021

Autrice/autore:

MA Stefan Manser-Egli