Objectif

Le baiser furtif, l’étreinte pudique, la coprésence des corps, le fondu précipité, les mots et la musique ont longtemps constitué les seules manifestations tangibles et acceptées de la sexualité sur les écrans français comme américains. La situation change toutefois sensiblement dans les années 1960 et 1970. A mesure que la « révolution sexuelle » déploie ses effets sur les sociétés occidentales, qu’elle en remanie les cultures en profondeur, de nouvelles formes de rapports charnels s’inventent au cinéma. Cet enseignement propose de faire l’histoire de cette mutation et des formes qui en résultent en se penchant sur les représentations sexuelles dans les films français et américains des années 1960 à nos jours. Afin d’étudier ce déplacement d’un régime plutôt connotatif vers un régime principalement dénotatif, on s’appliquera à se demander quand, comment, où et pourquoi des actes, des pratiques et des désirs sexuels jusque-là jugés obscènes ont pu faire leur apparition dans des réalisations destinées à un large public.

La conduite d’une telle réflexion est cependant contrariée par un double problème. D’une part, comme d’aucuns l’ont souligné, « la sexualité » ne possède pas de définition claire, unitaire ou stable dans le temps. Bien que cette dernière ait fréquemment pu être ramenée à une donnée de nature ou une pulsion vitale réprimée, elle a également pu être pensée comme un savoir médical, une orientation du désir, une activité accessoire, un type d’interaction sociale, l’Autre de la raison, un instrument d’oppression patriarcale, une voie d’émancipation, un champ de possibilités soumis au pouvoir législatif, etc. Du reste, pour Jeffrey Weeks, l’étude de la sexualité est une histoire sans objet ou, plutôt, dans les termes empruntés à Robert Padgug, dont « l’objet est constamment redéfini. » (Weeks, 2010, p. 29). D’autre part, si, comme le relève Linda Williams, la mise à l’écran de la sexualité tend à participer, dès le tournant des années 1970, d’une logique de dévoilement graduel, cette extension du domaine du visible n’amoindrit pas la propension de ces images parfois crues à faire écran, à laisser quelque chose « hors champ », et à continuer en somme à être révélatrices de l’étrangeté irréductible, du caractère énigmatique, viscéral ou de l’incohérence de la sexualité (Williams, 2008, p. 2).

Afin de surmonter ces difficultés, et de préserver la complexité de notre objet, ce cours-séminaire s’inscrira dans l’héritage des travaux pionniers de Michel Foucault sur l’histoire de la sexualité, et de la théorie queer qui s’en est inspirée. Aussi n’envisagera-t-on pas cette histoire à l’aune une conception naturaliste ou évolutionniste de la sexualité, qui associerait sa mise à l’écran à la levée progressive d’un interdit, à la libération de ce qui, jusque-là, aurait été refoulé ou à l’explicitation toujours plus grande d’une sexualité qui aurait préexisté à son exhibition, mais à partir d’une conception pluraliste et discursive du sexuel. A cet égard, on prêtera une attention toute particulière au double travail de monstration et d’occultation des représentations de la sexualité à chaque époque donnée, mais aussi aux destinées des deux figures privilégiées de cette mutation que sont les femmes et les hommes gays. Cet enseignement vise ainsi à familiariser les étudiant·e·s avec les théories et les méthodes qui permettent de faire l’histoire de la sexualité au cinéma et à favoriser une réflexion critique sur les rôles endossés par cette dernière dans les rapports sociaux.

Contenu

La sexualité, au même titre que genre (gender) ou la race, est un sujet sensible, notamment parce qu’elle est constitutive de notre expérience vécue, de notre intimité, et que l’histoire de ses modes de représentation, de ses expressions et de sa gestion a pu être profondément mêlée à des formes diverses de violence, de provocation, d’exaltation et d’oppression. Vous ne devriez suivre ce cours-séminaire que si vous êtes prêt·e à prendre en considération de manière critique des objets que vous pourriez trouver personnellement déplaisants ou politiquement équivoques. Dans le cadre de cet enseignement, nous regarderons et discuterons des extraits de films qui peuvent comprendre des scènes représentant des actes sexuels de façon explicite, de la violence physique, des scènes de nudité, d’abus, de la violence sexuelle, des expressions langagières grossières, injurieuses, sexistes, racistes ou misogynes. L’objectif de cours n’est à l’évidence pas d’entériner ces représentations. Il vise à créer un environnement intellectuel stimulant, dans le cadre duquel nous pourrons examiner et interroger collectivement les significations et la portée de ces représentations. Il s’agit de se pourvoir des ressources théoriques, conceptuelles et méthodologiques nécessaires afin de parvenir à analyser les productions qui composent nos sphères culturelles et à développer des discours féconds sur des points de vue, des histoires et des objets contradictoires, inscrits dans des rapports de pouvoir. Or, une telle démarche implique de se confronter à des perspectives théoriques, des productions filmiques ou iconographiques et des discours qui se situent parfois en dehors des cadres normatifs de ce que nous considérons, à titre personnel ou collectif, comme raisonnable, (dé)plaisant ou acceptable. Le fait de suivre ce cours-séminaire signifie que vous comprenez la nature potentiellement sensible des films et discours qu’il se donne pour objets.

Semestres:

Niveau:

MA

Thèmes:

Disciplines:

ECTS:

2

Branches:

Etudes cinématographiques

Type de haute école:

Universités