#metoo 4: De la campagne #metoo à la prévention du harcèlement sexuel

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Mélanie Battistini September 2018

Le harcèlement sexuel constitue un phénomène social très répandu qui est revenu sur le devant de la scène médiatique grâce au #metoo. Depuis plus de 20 ans, l’Institut le deuxième Observatoire met en œuvre des actions de prévention pour lutter contre le harcèlement sexuel au travail, à l’école et dans divers espaces sociaux. Bien que la loi suisse soit très claire en matière de définition du harcèlement sexuel, les comportements importuns restent mal connus.

Image: extrait du court métrage du National Centre for Domestic Violence «Final minutes» de Stuart Douglas

Depuis l’automne 2017, les scandales de harcèlement sexuel qui ont ébranlé Hollywood et la campagne #metoo qui a suivi ont permis à de nombreuses femmes de dénoncer des faits de harcèlement sexuel. Depuis, plus un festival de cinéma ou un événement culturel ne se déroule sans que la thématique du harcèlement sexuel dont sont victimes les actrices et autres professionnel·le·s des milieux artistiques et culturels ne soit abordée et dénoncée. Cet été, dans le domaine sportif cette fois, la coupe du monde de foot de la FIFA en Russie a été également le théâtre d’actes sexistes dénoncés par de nombreuses personnes, donnant à nouveau l’opportunité de discuter de la question des violences sexistes et de genre dans l’espace public. En Angleterre, une campagne de prévention des violences domestiques réalisée par le National centre for domestic violence soulignait la recrudescence des actes de violences domestiques durant les événements sportifs. Ainsi, cette campagne mettait en avant les chiffres d’une étude anglaise montrant une augmentation de 38% des cas de violences domestiques lors d’une défaite de l’équipe nationale anglaise de foot (voir à ce sujet le film « Final minutes » de Stuart Douglas. Suite à la victoire de la France, les dénonciations des femmes ciblées par des actes de violences sexistes dans l’espace public ont été relayées par de nombreux médias sociaux. Ces dénonciations auraient-elles eu le même impact médiatique s’ils avaient eu lieu avant la vague #metoo  ?

Mais les milieux culturels et du sport ne sont pas les seuls à être touchés par le phénomène. Bien loin des paillettes et des tapis rouge, le monde du travail et de l’entreprise est le théâtre quotidien d’actes relevant du harcèlement sexuel. En Suisse romande, le deuxième Observatoire, institut romand de recherche et de formation sur les questions de genre et centre de compétence en matière de harcèlement au travail, œuvre dans la prévention du harcèlement sexuel et psychologique au travail depuis plus de 20 ans. Lors des formations que nous donnons dans des entreprises, nous touchons un large public dans des domaines très variés. Depuis quelques années, nous constatons que la thématique du harcèlement psychologique a pris une importance croissante dans les entreprises, au point parfois d’occulter le phénomène du harcèlement sexuel. En effet, celui-ci reste mal compris et est souvent ignoré par les employeurs et employeuses, estimant que ce n’est pas un problème dans leur entreprise. De plus, nous constatons régulièrement que le harcèlement sexuel est perçu par les participant·e·s de nos formations dans ses formes les plus archétypales, telles que des mains aux fesses ou des agressions sexuelles commises par des soi-disant « prédateurs ».

La législation suisse est très claire en matière de harcèlement sexuel, qui est défini par la loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes comme un comportement discriminatoire, « importun de caractère sexuel ou tout autre comportement fondé sur l'appartenance sexuelle, qui porte atteinte à la dignité de la personne sur son lieu de travail » (LEg, art.4). Ainsi selon la définition légale, les comportements sexistes ou homophobes et lesbophobes sur le lieu de travail constituent également du harcèlement sexuel. Ce qui signifie que les blagues sexistes ou homophobes, les remarques déplacées, les insinuations, ou encore les insultes à l’encontre des femmes peuvent constituer du harcèlement sexuel au sens de la loi. Par ailleurs, les cibles de ces comportements importuns ont parfois du mal à les nommer comme étant du harcèlement sexuel. En effet, bon nombre de ces attitudes sont totalement admises et banalisées par la société, en raison de la dissymétrie des rapports de genre. Il s’agit là de manifestations du sexisme ordinaire, qui, tout en étant très problématique, n’en est pas moins invisible aux yeux du plus grand nombre. Ainsi, la plupart des actes de harcèlement sexuel s’inscrivent dans un climat de travail hostile, qui tolère, voire encourage, les comportements sexistes.

Par ailleurs, les victimes de harcèlement sexuel craignent souvent de porter plainte pour les actes qu’elles ont subi. La crainte des représailles est malheureusement souvent fondée, car selon plusieurs études sur le sujet citées par Karine Lempen, ce sont la plupart du temps les victimes qui paient les conséquences d’une dénonciation. Ces recherches montrent que les femmes qui se plaignent de harcèlement sexuel sont souvent licenciées ou transférées dans un poste de travail différent. Les auteurs des actes de harcèlement sont quant à eux moins souvent inquiétés. D’autre part, comme l’a montré Véronique Ducret, une personne ayant subi du harcèlement sexuel sur son lieu de travail et ayant manifesté son opposition a de grands risques de subir par la suite du harcèlement psychologique sous forme de représailles, soit de la part de l’auteur du harcèlement sexuel, soit de la part de tiers (des collègues, par exemple, mettant en doute la parole de la cible).

Pourtant, les cas où la cible du comportement harcelant aurait inventé son histoire et accusé à tort une personne sont extrêmement rares. En effet, il est tellement difficile pour une victime de se faire entendre et de surmonter les obstacles à la libération de la parole, qu’il est plus à craindre que celle-ci ne parle pas plutôt qu’elle affabule. Mais les mythes ont la vie dure et les représentations ne manquent pas, comme par exemple celles de la femme cherchant à obtenir des avantages ou à se venger, etc. Or, ce que la libération de la parole dans la suite de la campagne #metoo a de positif, c’est qu’il est difficile aujourd’hui d’ignorer la réalité du phénomène du harcèlement sexuel, qui dépassent largement les limites du cadre professionnel et touche toutes les catégories de femmes.

Selon une étude réalisée en Suisse par Sylvia Strub et Marianne Schär Moser, près de 30% des femmes et 10% des hommes déclarent avoir subi, durant leur carrière professionnelle, au moins un comportement qu’elles ou ils peuvent qualifier d’importun et relevant du harcèlement sexuel. Ces chiffres, qui ne représentent sûrement pas toute l’ampleur du phénomène, montrent que ces comportements sont loin d’être négligeables au sein des entreprises. Et s’ils touchent en majorité des femmes, les hommes sont aussi potentiellement les cibles de tels comportements. Il est toutefois important de noter que les auteurs restent le plus souvent des hommes, que les cibles soient des femmes ou des hommes. En effet, les hommes qui sont ciblés par le harcèlement sexuel le sont souvent en raison de leur expression de genre ou de leur homosexualité avérée ou supposée. Par ailleurs, les personnes racisées, de par l’imbrication des rapports de pouvoir, sont d’autant plus susceptibles d’être ciblées par des actes de harcèlement sexuel.

De même, selon Nadia Lamara, les femmes qui ont choisi une profession dans laquelle elles sont minoritaires (mécaniciennes, ingénieures civiles, informaticiennes, etc.) ont plus de risque d’être victimes de comportements harcelants. Du fait de leur position minoritaire, elles créent l’exception et remettent en question un entre-soi masculin dans ces professions qui se sont construites sur une identité virile. Du fait de leur présence, elles remettent en question des pratiques et des façons d’être qui jusque-là allaient de soi. A ce titre, on peut par exemple penser aux calendriers de femmes dénudées dans les ateliers de mécanique ou aux sorties d’entreprise dans des clubs de strip-tease, etc. Les femmes qui travaillent dans ces milieux sont donc susceptibles de troubler l’ordre établi et peuvent être la cible de moqueries, d’intimidations, voire d’insultes. Les apprenties inscrites dans des métiers atypiques méritent donc une attention particulière si on veut éviter le décrochage et le changement d’orientation professionnelle.

Près d’une année après le début de la vague #metoo, nombreux sont ceux (et celles) qui semblent se choquer que de telles pratiques de harcèlement sexuel aient cours dans leur entourage, milieu professionnel, cercle amical, etc. Pourtant, ces actes sont dénoncés depuis fort longtemps par les femmes et les féministes sans que leur voix n’ait été entendue. Certain·e·s s’étonnent de ce que les victimes de tels comportements n’aient pas parlé plus tôt. Mais ne devrait-on pas plutôt s’étonner de la capacité de certain·e·s à fermer les yeux et les oreilles sur de tels comportements ? Aujourd’hui encore et de manière accrue, il s’agit de souligner l’importance de la prévention du harcèlement sexuel dans les entreprises, les lieux de formation et les espaces culturels, notamment, ainsi que de favoriser l’intervention des témoins (ami·e·s, collègues, etc.) pour que de tels actes ne soient plus tolérés dans le futur.

Références :

  • Véronique Ducret, « Pour une entreprise sans harcèlement sexuel. Un guide pratique » Georg éditeur, Genève, 2008 (2e édition).
  • Nadia Lamamra, « Le genre de l’apprentissage, l’apprentissage du genre. Quand les arrêts prématurés révèlent les logiques à l’œuvre en formation professionnelle », Seismo, Zurich et Genève, 2016.
  • Karine Lempen, « Le harcèlement sexuel sur le lieu de travail et la responsabilité civile de l’employeur. Le droit suisse à la lumière de la critique juridique féministe et de l’expérience états-unienne », Schulthess, Genève, 2006.
  • Sylvia Strub et Marianne Schär Moser, « Risque et ampleur du harcèlement sexuel sur le lieu de travail. Une enquête représentative en Suisse alémanique et en Suisse romande », SECO, 2008.

Image : extrait du court métrage du National Centre for Domestic Violence « Final minutes » de Stuart Douglas (Nice Shirt Films) mis en ligne le 19 juin 2014.

Publikationsdatum:

20. September 2018

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Mélanie Battistini