Brigitte Mantilleri April 2022
Brigitte Mantilleri a dirigé le service égalité de l’UNIGE de 2008 à 2021. Elle revient pour nous sur son parcours et ses réalisations dans notre série #4genderstudies consacrée à celles et ceux qui ont «fait» les études genre et l’égalité des chances dans les hautes écoles suisses.
Bon, je pense que depuis petite, j’ai beaucoup observé et beaucoup lu. Et que j’ai vite remarqué que les femmes n’étaient pas traitées comme elles le méritaient, celles qui étaient fortes pas assez reconnues, et les moins fortes maltraitées. J’ai également vite été allergique à toutes formes d’injustice. Cela dit, j’ai bien fonctionné, effectué une excellente scolarité, mais un besoin certain d’indépendance m’a poussée à quitter Genève pour étudier à l’Université de Hambourg (Magister Artium). C’est là que tout ce que je sentais confusément s’est ancré à tout jamais : ma professeuse d’anglais, une féministe américaine, nous a mis entre les mains tous les livres dont nous avions besoin. Donc bien que francophone, j’ai lu Adrienne Rich, Susan Faludi et Kate Millet avant Gisèle Halimi par exemple. Mais bref, j’étais dès lors bien ancrée dans cette pensée.
J’ai ensuite été journaliste dans un quotidien, entourée de pas mal de machos, mais bon je ne les ai jamais craints, ayant beaucoup fait de sport avec mon père et des garçons dans ma jeunesse. Cela dit, pour garder mon équilibre intellectuel, j’ai collaboré dès mon retour à Genève en 1987 avec le magazine Femmes suisses, devenu L’Emilie, dont je serai la rédactrice en chef quelques années plus tard, et ce pendant cinq ans.
A côté de cela, et pour moi c’est très important, j’ai toujours eu un intérêt pour les luttes sociales, pour la justice sociale. Je me suis beaucoup intéressée à l’Amérique latine et pour Genève, j’ai beaucoup interviewé Noël Constant, travailleur social hors les murs et créateur de Carrefour-Rue, une association pour les sans-abris. J’ai écrit deux livres avec lui. Je contribue encore aux travaux de l’association.
Ensuite, parmi toutes ces activités, j’ai collaboré à la rédaction, la traduction ou la révision d’ouvrages pour le Bureau fédéral et cantonal de l’égalité. J’ai donc toujours eu un regard sur ce qui se faisait en termes de recherche. Et j’ai co-rédigé deux ouvrages de portraits de femmes en Suisse. Et ma dernière contribution est en lien avec mon intérêt pour l’invisibilisation des femmes : Les femmes et les omissions de l’histoire.
Cela dit, lorsque je constate une fois de plus que l’égalité patine encore, voire parfois recule comme en Afghanistan, quand je constate une fois encore qu’un homme au pouvoir décide tout seul de partir en guerre et que ce sont les femmes qui paient le plus lourd tribu, quand je constate une fois de plus dans le conflit européen qui nous occupe, que peu ou pas de femmes siègent à la table des négociations, mais sont appelées à s’occuper de colmater les brèches du désastre en route, je me dis que bof, tout cet engagement a servi à des clopinettes !!
Mais, comme je suis lucide et résolument optimiste, je me retourne en arrière et constate que oui, cahin-caha, la cause des femmes a progressé : droit de vote, droit de travailler, droit d’avoir son passeport, son compte en banque, droit de faire la Grève des femmes. Donc je ne suis résolument pas passéiste, du genre c’était mieux avant, pour nous les femmes certainement pas, même si aujourd’hui tout n’est pas rose, et c’est là qu’est allé mon engagement de ces dernières années, presque par la force des choses.
Engagée comme Directrice du service égalité de l’Université de Genève en 2008, je me suis d’abord lancée, avec mon équipe et l’atelier Roger Pfund, dans un projet dans le cadre du 450e anniversaire de la création de l’Académie par Calvin (1459) : Faces à faces, soit les vitres d’Uni Dufour recouvertes de portraits de femmes et d’hommes qui avaient fait l’Université de Genève au cours des âges. Et force a été de constater que les femmes étaient sacrément absentes, même les plus brillantes d’entre elles : peu d’images, peu d’histoires, peu de mémoire. Depuis, certains portraits sont dans les facultés et un ouvrage permet de les connaître. Rude découverte à vrai dire qui m’a motivée dans ma poursuite de la mise en visibilité des femmes dans le monde académique, entre autres.
Ensuite, mes habitudes de journaliste m’ont vite amenée à causer, à faire causer et à constater que cela n’allait pas bien, mais alors pas bien du tout pour nombre de femmes : sexisme, mobbing et harcèlement sexuel étaient bien présents et, personne n’en parlait. Pendant des années, je tiens donc salon dans mon petit bureau et enregistre toute cette douleur et je me dis que c’est bon, qu’il faut que cela sorte. Première campagne passionnante, celle de 2013 sur les stéréotypes avec Brigitte Grésy, autrice du Petit traité contre le sexisme ordinaire, lequel a ancré mes convictions.
Puis, j’ai souhaité me concentrer sur le sexisme et le harcèlement, mais pour cela, dans une institution comme l’université, il fallait une caution scientifique et mon service a donc mandaté Klea Faniko, chercheuse en psychosociale, pour une étude intitulée Carrière académique à l’UNIGE, qui a ébranlé décanats et rectorat, et permis de lancer la campagne #uniunie contre le harcèlement en novembre 2017. Une campagne qui a vraiment fait bouger les choses avec « l’appui » de MeToo survenu un mois plus tôt. Le harcèlement était jusque-là un non-sujet, il est devenu un sujet, des moyens de prévention ont été mis en place, des étudiantes ont lancé des projets, bref, cela a bougé et le sujet n’est plus tabou, même si la chose n’est pas encore éradiquée, loin de là…
Et pour finir en beauté, côté mise en visibilité, je suis en charge de la commémoration des 150 ans de l’accès des femmes à l’Université de Genève.
Et côté harcèlement, j’organise avec le Service égalité de l’UNIGE une grande conférence LERU intitulée After #MeToo | Sexism and sexual harasssment in academia les 1er et 2 juin prochain à Genève.
Les défis rencontrés ? Combiner un certain idéalisme avec les contraintes du quotidien, faire preuve de diplomatie sans s’aplatir, sacrément difficile parfois, donc j’ai souvent préféré partir, garder mon humour et ma joie de vivre envers et contre une tristesse endémique qui parfois me submerge, regarder dehors comme aujourd’hui et voir que le soleil brille et que des jeunes continuent à s’engager pour des causes qui sont bonnes pour la planète et pour l’égalité. Et souhaiter que la paix revienne…
Brigitte Mantilleri
Genève, le 27 mars 2022
Bibliographie
Noël Constant, un homme libre, l’Age d’homme, 2012 et Noël Constant : un autre social, l’Age d’homme, 2016.
Schweiz Frauengeschichten – Frauengesichter, edition ebersbach, 1998 et Histoires et visages de femmes, Cabédita, 2004.
Les femmes et les omissions de l’histoire, in : Genève, cinq siècles d’accueil. Venues d’ailleurs, ces personnalités ont fait la réputation de Genève, éditions Notari, 2021.
Publikationsdatum:
07. April 2022
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Brigitte Mantilleri